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deux plumes sinon rien

30 juillet 2009

déjeuner et constipation

- J’ai envie d’aller aux toilettes, répond la femme avec un air suppliant.
- Pffft. Je vais explorer lui répond l’homme.

A l’angle du couloir, il trouve bien vite une sœur vêtue de blanc, assise sur un tabouret, silencieuse en train de psalmodier, mais en silence en égrenant un chapelet fait de haricots séchés. Seules ses lèvres bougent. Devant cette sœur, posée sur le sol il y a une cuvette émaillée, pleine d’eau dans laquelle flottent des épluchures de légumes.
- Hmmm, bonjour, ma sœur. Savez vous où sont les toilettes ? (das Klo dans le langage local).
- Hhhh ! La sœur se lève et se sauve comme une folle en renversant la cuvette. L’homme a juste le temps de s’écarter pour ne pas faire tomber la religieuse et salir ses belles chaussures de marche toutes en cuir.
Sa surprise passée, le touriste entend des bruits de pas qui se rapprochent de plus en plus vite. C’est la sœur de type américain qui arrive.
- Qu’est-ce qui se passe ici ! Pourquoi avez vous fait peur à cette pauvre Gertrud ? Elle est sourde et muette. Elle a été effrayée de ne pas vous avoir vu approcher. Que voulez vous ?
- Mon épouse m’a demandé de localiser les toilettes.
- C’est ici, la porte derrière le tabouret renversé et la cuvette d’épluchure. La religieuse se met à faire des gestes un peu insensés pour visiblement gronder la pauvre sourde et muette. L’homme se retire prudemment dans ses quartiers pour prévenir son épouse.
- J’ai commis un impair dit-il en expliquant la scène à sa femme. Celle-ci n’y prête pas trop attention et s’éloigne à son tour dans le couloir en emportant un gros sac à main. 

Comme prévu les toilettes à la turc ne ferment pas à clé. Cela n’a pas trop d’importance. Il n’y a que des femmes ici. Mais le papier hygiénique n’est pas encore à la mode. Sur une tablette il y a de vieux numéros du Time et du Frankfurter Allgemeine. Ni les chasses d’eau. Dans un coin se trouve un seau à moitié vide et un gros bâton avec une pointe en fer. Ce n’est pas tout de même prévu pour que les nonnesses défendent leur virginité ? A tout cela une explication se dit la femme. Réfléchissons : l’eau gèle et les locaux préfèrent se passer de canalisations en plomb plutôt que d’appeler le plombier chaque fois que la température descend à moins cinq, mois dix ou moins vingt-cinq ? Le bâton sert très probablement à casser la glace avant de faire ce qui doit être fait et secondairement pour s’en servir de canne quand le sol est trop glissant et éviter de tomber. Ach so !

Mais la sourde et muette ? Probablement que sa cuvette à épluchures doit servir au remplissage du seau qu’elle n’a pas eu le temps d’accomplir à cause de ses méditation et son idiot de mari ? Avec un sourire, elle se dit que constipée la dite sœur devait attendre en priant Saint Coucouillin pour que ça vienne. Le journal est un peu humide et désagréable. Elle s’essuie avec la page culture sur lequel il y avait un poème qu’elle n’a pas pris le temps de lire.

Das Mädchen aus der Fremde

In einem Tal neu armen Hirten
Erschien mit jedem jungen Jahr
Sobald die ersten Lerchen schwirrten
Ein Mädchen, schöne und wunderbar

Sie war nicht in dem Tal geboren
Man wusste nicht woher sie  kam
Und schnell war ihre Spur verloren
Sobald das Mädchen Abschied nahm

Beseligend war ihre Nähe
Und alle Herzen wurden weit
Doch eine Würde ein Höhe
Entfernte die Vertraulichkeit

Sie brachte Blumen mit und Früchte
Gereift auf einer andern Flur
In einem andern Sonnenlichte
In einer glücklichern Natur

Und teilte jedem eine Gabe
Dem Früchte jenem Blumen aus
Der Jüngling und der Greis am Stabe
Ein jeder ging beschient nach Haus

Willkommen  waren alle Gäste
Doch nahte sich ein liebend Paar
Dem reichte sie des Gaben beste
Der Blumen allerschönste dar

Chapitre 2 (suite)

Nous sommes maintenant tous à table. Dans une autre dimension semble t‘il à l‘homme qui doit tenir ses coudes bien serrés contre lui pour éviter de heurter l‘ancienne mère supérieure à sa droite. La doyenne de l‘établissement.

C‘est la petite albanaise qui est venue les chercher en adressant des sourires éhontés au monsieur occidental et quand sa femme a le dos tourné, des clins d‘oeil appuyés. Il n‘y a pas grand chose à faire dans ce genre de situation pour un homme averti sinon de laisser faire celle qui veut. Et c‘est ainsi qu‘après une porte monumentale, il se retrouvent non pas dans un chapelle mais une sorte de grange immense toute en longueur dans laquelle des tables en U tiennent toute la place. Tout en haut à plus de vingt mètres de colossales poutres supportent directement la toiture. En altitude autour des poutres il y a un rambarde qui indique une sorte de passage de ronde. Cette coursive est accessible par une minuscule porte à la verticale de la porte d‘entrée du réfectoire. La salle ressemble à une grange, car au sol il y a de la paille qui date un peu. Elle est écrasée de longtemps car elle fait de la poussière. Au mur peu de décoration sauf à droite du U une tapisserie aux couleurs fadasses ou passées représentant Saint Michel en train de faire ce pour quoi il a été grassement payé. Le réfectoire est éclairé par de hautes fenêtres de style roman fermées par des vitres à carreaux biseautés.

Le U est particulier car en tête, les tables sont situées sur une estrade qui de fait dominent les deux branches du U. La grande table n‘est pas entièrement occupée. Il n‘y a qu‘une vingtaine de participantes. Et un homme chauve au regard de braise qui semble en colère rien que de se trouver là. Il porte un costume gris de religieux d‘un ordre peu identifiable pour un béotien. Une moine ? Tout le monde est debout quand ils arrivent poussés par l‘albanaise. Une sœur à binocles debout derrière un pupitre lit dans une langue inconnue un texte incompréhensible en tournant les pages d‘un énorme grimoire aux pages épaisses et inhabituellement grandes.

Les touristes sont conduits en tête du U et son invités à s‘asseoir presque au centre. Ils sont les seuls assis. Tout le monde reste debout. Quelques minutes de gêne plus tard, trois sœurs entrent. Ou plutôt deux qui supportent entre elles une espèce de fantôme sans âge tellement il est vieux et ridé. La marche est lente et la traversée du réfectoire dure une éternité jusqu‘à la pose sur le trône de bois noirci que d‘autres sœurs déplacent pour permettre à la doyenne des doyennes de se reposer. Le lourd crucifix en argent qu‘elle porte autour du cou ne doit pas l‘aider à garder la tête droite. Les deux touristes ont bien sûr compris que c‘était là le moment de se relever. De toute façon pour permettre la remise en place du trône, il aurait fallu les bousculer. Et voilà enfin tout le monde en place. Les deux sœurs accompagnatrices restent debout derrière la toute vieille.
Au cas où ?

L‘ancienne promène son regard ensommeillé dans un semblant de redressement de tête tout autour de la salle, sans remarquer particulièrement les touristes et d‘un claquement sec tape sur son assiette de bois avec la grosse cuillère en argent. Alors seulement tout le monde peut se rasseoir. L‘homme est coincé contre le trône et ne sait plus trop quoi faire de ses bras. Au pupitre, la religieuse redresse de temps en temps ses binocles avec un doigt et continue à lire. L‘autre homme dans la salle est assis tout en bout de table des doyennes. Seul, sans personne à côté de lui pour parler. Une rapide observation des tablées permet de repérer des castes.

En gris, et toutes âgées, les doyennes. Les gestes sont peu assurés, les mains tremblent mais soulèvent gaillardement les lourds couverts d‘argent. Les couteaux de boucher taillent le pain et la barbaque avec l‘obstination de celles qui n‘ont pas envie de mourir de faim faute de forces.

Viennent ensuite les « grises-moins-sombre » avec un liseré noir. Dans les barres du U. Le couple a compris qu‘il s‘agit des silencieuses. Il y en a de tous les âges. En ce moment il n‘y en a que sept. Mais on remarque vite qu‘elles sont bavardes autrement et jouent des gestes mieux qu‘avec la langue. Elles se comprennent d‘un coup d‘oeil ou d‘un geste quand il s‘agit de faire passer le vin ou le pain. Ou des coups de coudes pour pouvoir enfourner une cuillérée sans en faire tomber dans l‘assiette. L‘homme repère vite qu‘elles n‘utilisent pas de couteaux mais cassent le pain avec leurs doigts et au lieu de viande n‘ont que du poisson.

Puis viennent quelques religieuses blanches. Cinq seulement au milieu de table. Deux d‘entre elles sont connues : la mâchoire carrée et l‘autre est la femme âgée qui conduisait la voiture automobile. Les blanches ne mangent pas et gardent les doigts croisés en prière au dessus de leurs assiettes. Elles ont déjà mangé au premier service. Et puis de façon générale elles sont assez costauds pour sauter un repas ou deux. Un mois de jeûne sévère ne leur fait pas peur. Il n‘y a pas la sourde et muette. L‘albanaise non plus qui aurait pu être avec les novices.

Enfin en bout de table, ce doit être le petit groupe de novices. Une bande de gamines d‘au plus quinze ans. Au visage sale ou bronzé et les joues rouges, en jupe longue avec une veste bleue boutonnée. Curieuses, elles ne peuvent s‘empêcher de regarder les touristes aujourd‘hui présent. Devant elles les assiettes débordent de choucroute fumante et une sœur de service leur sert de grands verres de bière. Elles sont rappelées à l‘ordre de temps à autre par une blanche d‘un coup de cuillère bien senti sur les doigts.

Toutes portent la même coiffe de religieuse.

L‘homme compte en tout autour du U une capacité de 150 places. Ce qui doit faire en deux services par exemple, un maximum de 300 religieuses.

Dans le réfectoire on n‘entend que le bruit de mastication, des couverts qui s‘entrechoquent, des rots et des psalmodie de la liseuse. La choucroute est bonne. Mais la bière glacée n‘est pas servie à la table des doyennes. Il n‘y a que de l‘eau. Les sœurs de services sont des grises, têtues, qui vous resservent sans vous demander votre avis. La femme fait les gros yeux à son époux devant le tas de choucroute et les saucisses fumantes et les Kartoffeln qui manquent de rouler hors de l‘assiette. Bon gré mal gré il faut manger en silence. Si on a le malheur de faire une pause, une grise se met devant vous avec une louche vide prête à intervenir. Leurs airs peu avenant vous obligent à vous pencher sur la tablée.

La doyenne des doyennes est véritablement choyée. L‘une des acolytes goûte avant elle dans son assiette. Non ce n‘est pas empoisonné ? Ou plutôt : non ce n‘est pas trop chaud ! On la nourrit moins que les autres. Mais elle a un bon coup de cuillère (la doyenne des doyennes n‘aurait pas le droit d‘utiliser une fourchette selon la règle locale...). Dès qu‘elle bave un petit peu, une autre s‘approche pour lui tamponner le museau avec un mouchoir blanc. Dès qu‘elle reste immobile quelques secondes de trop, on lui change son assiette contre une autre tout aussi peu remplie qu‘elle touche à peine.

A la fin de repas, une sœur amène un grand panier avec des pommes qui ont survécu de l‘automne dernier. Elles sentent bon la pomme qui a séché pendant les longs mois d‘hiver dans le grenier sous la surveillance des chats. Elles sont jaunes et or, farineuses et peu juteuses mais encore bien parfumées. Ce qui expliquerait la constipation de la sourde et muette qui a donc fort logiquement manger au premier service. L‘homme est fier de sa capacité à interpréter tous ces petits riens qui font la vie de tous les jours.

La fin du repas survient avec une volée de cloches très proches –dans un bâtiment contigu ? - qui surprennent violemment le couple de touristes mais pas les sœurs qui abandonnent aussitôt leurs trognons en l‘état. Et quittent la salle à la queu-leu-leu en baissant la tête.
Un fois toutes les jeunettes parties, la doyenne se penche alors vers l‘homme et lui dit dans un français impeccable et une voix extraordinairement claire :
- Il m‘a été dit que vous venez de Zagreb ?
- Oui, ma sœur. Mais comme vous le savez, je suis suisse résidant à Vienne. Il n‘y a que mon usine à zagreb.
Le regard de la momie fouille son esprit sans vergogne brillant de mille feux.
- Vous savez donc qu‘il n‘y a pas de secrets pour Dieu. Allez en paix mon fils. Elle ne décroche aucun mot à la femme. Cette dernière s‘aperçoit que le moine coléreux a quitter le réfectoire sans se faire remarquer.

Chapitre 3

De retour dans leur chambre. Le couple referme la porte.
- Elles nous accordent deux heures pour nous reposer et la sieste. Cela devrait suffire indique la femme. Puis après notre guide doit nous faire visiter l‘établissement accessible aux touristes et les dépendances. Relis le plan pour bien t‘en imprégner. Moi je prépare ma tenue.
Sans lui répondre l‘homme ouvre également sa valise et en sort deux livres enveloppés dans une serviette de bain. Il s‘agit de la Retraite Spirituelle pour un jour de chaque mois par le père Jean Croiset de la compagnie de Jésus rédigé en 1716 –du moins c’est ce qu’en indique l’édition d’époque qu’il a en main- et un manuel scolaire : Cours d‘Allemand de Rochat-Lohmann des éditions Payot à Lausanne imprimé en 1944.

Le cours d’allemand dont il n’a pas besoin lui servira de code chiffré. Même s’il se doute que ses courriers seront lus par les sœurs, au moins il dispose d’un moyen de code sûr. Cette méthode nécessite d’avoir deux livres identiques, dans l’exemplaire de voyage, l’émetteur choisit les mots appropriés pour rédiger son message. Mais au lieu de les écrire tels quels il se contente de remplacer ses mots par les numéros de page, de ligne et d’ordre dans la ligne. La personne qui réceptionne le message n’a qu’a utiliser son propre exemplaire identique et chercher les mots correspondants. C’est la seule façon de faire échec aux techniques de décryptage. Le gros défaut est que le livre ne doit pas se retrouver en de mauvaises mains.

Une heure plus tard, une sœur nouvelle, si nos deux touristes font confiance à leurs qualités de physionomistes, vient les chercher. Si elle toque à la porte, elle n’attend pas la permission d’entrer.
- Etes vous prêts pour la visite ? Leur demande leur guide qui les observe remettre leurs chaussures et les a vus fermer précipitamment leurs valises.
- Pas vraiment voyez vous. Il nous avait été indiqué quinze heures ! Lui rétorque la femme qui ne cache pas beaucoup sa mauvaise humeur.
La religieuse ne leur répond pas et sort de la chambre comme il lui avait été dit pour le cas où il y aurait des problèmes de type relationnel. Les quelques pas de recul en marche arrière est un technique éprouvée pour calmer la tension.

Nos touristes la suivent. L’homme s’est armé de son appareil de photographie. La femme tient à la main un prospectus écrit en gothique et illustré par quelques gravures. Mais dans le couloir, se tiennent en retrait deux autres religieuses vêtues de bure blanche, affectées vraisemblablement à l’encadrement de la visite.

- Nous sommes ici au rez-de-chaussée d’un bâtiment achevé en 1050, et qui compte six niveaux commence fièrement leur guide qui a oublié l’incident. Il a été construit sur les fondations d’un ancien site païen antérieur à l’époque romaine qui le transforma en villa ou ferme agricole...blabla...Le musée compte un nombre éloquent de statuaire de type romain et antérieur...blabla..
Rien que le rez-de-chaussée qui reprend la forme du 8 avec ses deux cours intérieures ceintes de colonnades et de déambulatoires, ses nombreuses salles et ses accès principaux aux deux chapelles, au réfectoire, au jardin potager, aux autres chambres d’hôte, toutes identiques prend au moins deux bonnes heures. Le parcours est souvent arrêté pour laisser passer des groupes de grises, de grises foncées ou de novices. Une des portes des chambres d’hôte s’entrouvre et se referme rapidement sur le visage colérique du maigre moine présent au déjeuner.

La chapelle majeure est bien décrite dans le prospectus que la femme a remisé dans son sac à main. Mais la voir cause une forte impression. Que de dorures ! De la dorure à la germanique, c’est à dire un peu partout au point d’en gâcher un peu l’importance de l’autel. Beaucoup de statues colorées, des personnages saints divers reconnaissables à leurs pauses et accessoires traditionnels. Les inévitables dragons et des corps percés de flèches, les têtes sous le bras et d’autres avec des palmes à la main et le doigt levé. Quelques tableaux de scènes de la vie de Jésus ou de l’ancien testament dont deux oeuvres du Titien offerts par le pape Benoît XV. Il y a aussi un tableau de Breughel l’Ancien représentant une procession sur la place du Marché de Delft devant l’ancienne église avant qu’elle ne soit démolie par les protestants.

Les sœurs qui les accompagnent ne sont pas peu fières de voir les bouches bées de leur troupeau du jour.
- Et je vais vous montrer maintenant les reliques ! Annonce la guide en les poussant vers l’autre chapelle.
Discrètement l’homme souffle à l’oreille de son épouse « 56 » et . C’est le nombre de portes qu’il a comptées rien que pour ce premier étage.

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28 juin 2009

Ach so, le tourisme !

Chapitre 1 suite

De cette scène, je ne retrouverai bien des années plus tard que le visage rieur et bronzé de la jeune novice figé pour des années encore sur la photographie minuscule en noir et blanc qui craquèle par endroit. Elle a l’air sale de quelqu’un qui a le visage mal lavé et sa cornette blanchâtre ne cache pas quelques mèches d’une lourde chevelure noire. Derrière elle, je ne verrai que l’arrière de leur véhicule aux roues minces. Plus loin au fond. Les traces noires des montagnes coupées à la serpe des Alpes de cette région. Les photographies de l’époque pour peu qu’elles aient été travaillées pouvaient rendre réel quelque fois l’atmosphère rugueuse d’un passé moins confortable.
Mais au moment où l’opercule se refermait à la vitesse appropriée, je ne savais pas encore que notre monde avait commencé à se moquer de nos croyances les plus sacrées.

Les passagers regardent impressionnés la voiture disparaître dans ce château. Sur l’injonction de l’albanaise, les deux touristes s’engagent sur le pont. Entre eux ils échangent des mots étonnés sur tout ce qui les entoure.

Chapitre II

Ils sont arrivés ? Demande la mère supérieure.
La scène se déroule à l’étage interdit du couvent. La dame au visage dur est assise sur un grand fauteuil confortable et devant elle une sœur de taille respectable, agenouillée attend des instructions. La supérieure regarde autour d’elle semblant peser une décision qui n’est en réalité pas très importante.

C’est ici visiblement une salle de travail très grande. Une sorte de salle d’état-major. Par exemple sur un pan de mur, des tubes cathodiques renvoient des courbes ou des images en noir et blanc qui défilent régulièrement. Sur certains ce sont des chiffres qui défilent. Des sœurs surveillent les panneaux et notent dans de grands registres ce qu’elles semblent déduire de tout cela. Une autre promène un chariot sur lequel sont rangées dans des boîtes, des fiches perforées. Un mur est entièrement recouvert d’une carte du monde. Le troisième mur est une grande bibliothèque entre deux statues pieuses, dont les étagères de chêne ciré montent jusqu’au plafond. Au milieu de la pièce assez loin de la mère supérieure il y a une grand table encombrée de cartes roulées comme des parchemins. L’une d’entre elles a été déroulée et ses quatre coins sont bien tenus à plat par trois chandeliers de bronze et un vieux grimoire. Sous le quatrième mur, il y a une table tout en longueur et des sœurs assises les unes à côtés des autres. Si un visiteur pouvait s’en approcher il verrait les casques sur les coiffes des sœurs standardistes qui notent à la moindre sollicitation ce qui leur est communiqué des cinq points cardinaux coins d’un monde qui ne semble plus aussi simple. Le visiteur ne verra pas dans une autre petite salle attenante, les douze gros magnétophones à bande qui tournent lentement sans faire de bruit.
C’est bientôt midi, non ? Envoyez l’équipe qui a déjà déjeuné s’occuper d’eux. N’oubliez pas de leur demander le règlement du solde.
Oui, ma Mère. La nonne ainsi missionnée par la hiérarchie se relève sans laisser paraître la moindre douleur de sa génuflexion sur la pierre rude du sol.
Une sœur gardienne, plus jeune, lui ouvre la porte sans un mot et elle peut quitter les lieux pour accueillir les visiteurs.
De son côté, le groupe désigné par la mère supérieure se prépare aussi à entrer en scène et se regroupe dans la chapelle. Ces dames dont certaines sont de respectables septuagénaires et d’autres des novices souriantes, passent par dessus leurs robes claires, de méchantes chasubles de bure dont l’allure n’est pas très propre. Mais elles tiennent chaud et compensent le changement de température. Tout le rez-de-chaussée est délibérément non chauffé.

Ach, vous voilà enfin, nous sommes infiniment heureuses de vous accueillir pour cette retraite dans la paix du seigneur tout puissant. La sœur déléguée s’approche du couple les bras levés. La petite albanaise et la conductrice sur un signe de l’autre, filent chercher les bagages des touristes.
Merci à vous, ma mère, répond la femme. C’est magnifique ici !
Je confirme, bonjour ma sœur, rajoute l’homme qui a toujours son appareil photo en bandoulière. Il est un peu surpris par la corpulence de bûcheron de cette nouvelle sœur qui le toise de dix bons centimètres. Elle a le visage moins typé que les deux premières de la voiture. Sa tête est bien carrée et sa mâchoire, celle d’une américaine qui aurait passé sa vie à mastiquer du chouim-gom’. Elle vous transperce avec un regard bleu qui n’est pas sans rappeler ceux des aryens qui, quinze ans plus tôt, les survivants du moins, déposaient les armes ou demandaient à l’ancienne Supérieure, un abri avant de migrer vers l’Argentine en laissant derrière eux de vraies pièces d’or.

- Quand vous serez installés je vous enverrai chercher pour le déjeuner. Mais avant je vais vous donner quelques instructions. Très simples, ne vous en inquiétez pas !
- Nous vous écoutons.
- Tout d’abord, il faudra respecter la règle du silence que s’imposent les sœurs. Vous ne pourrez vous adresser qu’aux sœurs qui portent l’habit blanc comme nous trois dit-elle en désignant la conductrice et la petite albanaise. Il sera interdit d’interpeller les autres. Toutes les autres quelques soient leurs activités qui sont très nombreuses, vous le verrez bien pendant ces deux semaines. En principe les repas se prennent en silence. Ce soir vous dînerez avec la Mère supérieure qui est en jeûne actuellement. Nous vous installerons à la table des doyennes. On m’a indiqué que vous parliez autrichien mais aussi le français. Y a t’il d’autres langages que vous maîtrisez ? Vous savez que nos sœurs viennent d’un peu partout d’Europe !
-  Je ne parle qu’allemand et anglais, répond l’homme.
-  Et moi un peu latin, mais aussi  hébreu que je lis en pointé. La langue de notre Seigneur Jésus-Christ, répond la dame en se signant.
La sœur déléguée semble un peu agacée de cette manifestation.
-  Ici, nous nous satisfaisons du latin. J’ai à faire, je vous laisse aux soins de mes sœurs qui vont vous mener à vos chambres. Il fait encore frais à cette saison couvrez vous bien. Au loin on entend les voix aiguës d’un Te Deum.

La conductrice de la deux-chevaux porte une valise. L’homme en porte une autre et la femme son sac. Derrière la petite albanaise courre pour rattraper le groupe. Au loin le final en do mineur du Te deum se fait plus pressant comme pour appeler tout le monde au réfectoire. Curieux pour des moniales qui ont fait vœu de silence, se demande l’homme dont l’esprit se prend à vagabonder.
La chambre qui leur est allouée pour cette semaine de retraite spirituelle est assez grande. C’était l’ancienne infirmerie. Le sol est pavé de grandes dalles de pierres lisses. Les murs sont creusés et forment des placards fermés par des portes de bois peintes en vert. Le vert leur explique leur guide est la seule couleur qui n’amène pas vraiment de fantaisie dans le couvent car, après tout le vert c’est la couleur naturelle des végétaux. Il y a également deux petits lits que les pourvoyeuses ont placés côtes à côte mais avec assez de place entre les deux pour circuler et pour faire les draps. Deux tables de chevet avec un seul tiroir montent la garde en tête des lits. Au mur, un seul crucifix qui veille sur le lit de droite, celui le plus proche de la haute fenêtre d’où on ne voit rien sauf à monter sur une des vénérables chaises paillées. Mais les invités savent qu’ils ne devront pas prendre de tels risques et les sœurs savent qu’ils devront les rembourser s’ils les cassent. Tout le monde est rassuré à peu de frais.

Quand la petite novice albanaise finit par quitter la chambre, la dame s’assoit sur l’un des lits. Les draps de lin blanc sont recouverts d’une épaisse couverture de laine grise. Elle a choisi celui situé près de la porte. Des fesses, elle fait coulisser le matelas et aussitôt les ressorts du sommier répondent d’un léger couinement de toute la fatigue de leurs ressorts d’avant-guerre. Elle constate que la religieuse n’a pas fermé la porte.
- Crois tu que je doive fermer la porte ? dit-elle à l’homme.
- Non, répond celui-ci, tout ce que ces gens font a une signification. Il y a énormément d’impairs à éviter.

8 mai 2009

chapitre 1 plus gai..ou pas, on verra

Chapitre  I

50 ans plus tôt. Même endroit.
La 2CV conduite par les nonnesses se hisse péniblement dans les lacets compliqués de la vallée à l’assaut du vieux couvent. Assis à l’arrière le couple de sexagénaires autrichiens se demande s’il va arriver entier au pied du paradis très tyrolien dans les prospectus (ou in prospectibus ?) ou mourir dans un enchevêtrement de tôles made in Citroën.
La vieille bâtisse est à peine visible derrière les hauts sapins que personne n’entretient plus. Ces molosses de bois suffiraient à payer une Rolls-Royce aux forestiers du village de Spügtli un peu plus bas. Le fameux village emblématique des pauvres cultivateurs à la sauce équivalent du poujadisme hélvéto-autrichien.
Au détour d’un détour, la guimbarde s’immobilise devant un pont-levis baissé. Il est baissé depuis longtemps et ce n’est pas ce qui fait obstacle à la conductrice pourtant expérimentée. Non. C’est l’aspect vermoulu du pont de bois. La vieille chauffeuse constate que le bois humide est encore à l’ombre du soleil d’Est en cette fin de matinée. Du coup elle ne voit pas grand chose avec ses lunettes très épaisses. L’instinct de survie, ou de sacrifice, c’est selon lui commande en patois bavarois de descendre de la dedeuche et d’aller constater l’état du pont qu’elle a pourtant pris dans l’autre sens ce matin. La voiture grince sous l’effet de changement de poids et du changement de fesse d’appui des passagers arrières transis d’inquiètude sans trop de sincérité toutefois. Les poutres du pont grincent de contentement, mais ne cèdent pas. La cheffe de meute ne se laisse pas avoir au piège de Satan.
- Sortez s’il fout plait. Z’est plous proudent. Ordonne-t elle à ses protégés. De quoi ou plutôt de qui ? (nda : une certaine honnêteté m’oblige à traduire en français approximatif les dialogues locaux. C’est d’autant plus facile que la sœur essaie elle-même de parler en français avec ses visiteurs).

Les passagers subjugués n’ont aucune raison de ne pas obéir. Une autre sœur, et le couple descendent. Au devant d’eux se tient l’immense bâtiment. Ils ne peuvent s’empêcher d’être déçus et impressionnés par son état. Sa toiture de tuiles plates et moussues se confond aux frondaisons des sapins qui tentent d’en dévorer des morceaux. Monsieur sort de son sac à dos un appareil photographique d’Allemagne de l’Est dernier cri. Il ouvre l’opercule supérieur de son engin. Il donne un coup de manivelle pour amener la pellicule 6x6 au bon endroit. Il règle sa profondeur et la vitesse de déclenchement. Alors il peut photographier un peu de ces montagnes où tant de massacres ont rendu paraît-il le calcaire et la tourbe si sombre. La petite nonnesse ne peut s’empêcher de claquer des mains de joie. C’est une petite albanaise un peu naïve qui ne parle aucune langue connue, sauf celle connue de quelques aînées un peu versée dans des mœurs osées. Mais c’est pour le bien de tous, alors…

Les douves en ce début mai sont à moitié vide. La préposée au remplissage attend que le torrent situé à un petit mile d’ici se calme un peu avant de rouvrir l’écluse d’alimentation du couvent. En effet la petite dérivation creusé vers 1145 de notre ère par des esclaves bulgares athés pourrait trop vite se remplir de caillasse et se boucher. Le torrent en ce moment de fonte des neiges a trop de débit.

4 mai 2009

pas encore de titre mais déjà un prologue

PROLOGUE
3 mai 2009, quelque part en Suisse à la frontière italienne.


La bâtisse immense barre la sinistre vallée telle une redoutable forteresse de l’esprit.
Sa toiture de tuiles plates et noires se confond dans la brume aux enfers de la forêt de sapins parsemés de hêtres chétifs et isolés en gardien feuillus d’un troupeau trop indocile à l’image de nos pensées lorsque dispersées elle peinent à garder leur attention fixée sur l’imagination nourricière. Si maigre, ici, de ces montagnes où tant de massacres ont rendu paraît-il le calcaire et la tourbe si sombre.
La neige tente de pousser ses doigts crochus au ras des murs. En vain, les douves habituellement si gaies l’automne venu, retiennent dans son eau glacée des semblants de glace et une vapeur gelée qui décore les lierres anciens d’une frange blanche d’hermine. Les lourdes chaînes du levis pendent tristes et molles abandonnant humides et rouillées, leur fière vigueur guerrière aux mains racornies des sœurs tourières au regard que l’on croit toujours méfiant alors qu’elles ne sont qu’attentives.

Il y a trop longtemps qu’ici on n’a plus abandonné de  nouveau-né à la loterie des seins si maigres et rances pour la chance dans la rusticité des hautes sphères de l’esprit et de la retraite perpétuelle.
Et pourtant alors que la clarté d’un jour trop faible lutte encore en vain contre les forces de la nuit, un cri s’élève, rond et sans retenue comme le sont les tours pointues maintenant désarmées qui menacent depuis des siècles la vallée et le monde entier dans un ultime péché d’orgueil empêtré enfin pour l’éternité dans la chaux des pierres.
Plus bas dans la plaine un vol de corneilles s’échappe surpris du champ de labours pour se réfugier dans de tristes peupliers.
Ce cri est douloureux, mais il est gai car il signifie la vie. Un nouveau-né hurle son droit de vivre à une probable nourrice maladroite en se moquant des mystères du lieu et de l’épaisseur des murs guère plus épais en fait que la croyances des âmes naïves.


Chapitre  I
(to be followed)

17 avril 2009

dessin au clair de lune

le passé se moque et l'avenir jette des miettes
que les oiseaux picorent
les lanières et les baillons pendent encore
devant une armoire fermée à clé
au miroir brisé de trop d'images
envolées, enfuies lors de nuits trop sombres
à se taire pour ne plus penser
reste un drap blanc et frais pour recouvrir
des étoiles qui tournent les yeux ailleurs
vers une peau tiède, douce et sans morsure
l'oubli viendra lorsque les flaques d'eau dilueront le sel
lorsque la terre aura bu les dernières traces
de pas nus en fuite
lorsque le jour se lèvera dans un autre monde
où les mots n'auront plus d'autre but que de se taire
pour se perdre dans les feuilles qui s'agitent
et qui ne voient rien
que le silence, porte ouverte
par une main muette
et pourtant tellement légère
tellement tendre
que le frisson de la lune ne sera rien
que le début d'une nouvelle histoire où trop de douceur
sera comme le miel à la bouche
et comme les yeux fermés
pour mieux dessiner sans les voir
les contours secrets de ton visage
de ton sourire si rare
qu'il fait naître à chaque fois
un battement sourd, là
juste là
à l'endroit très précis
où tout est possible

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14 avril 2009

passer le pont

pont_thabor_1

Une autre ville, un autre pont, tout près
le franchir, tout laisser de l'autre côté
se perdre sous les branches
pour mieux se cacher
se retrouver face à face
laisser le temps s'arrêter
ne plus rien dire
seulement sourire
et t'embrasser

13 avril 2009

avril

sans toi j'ai froid
un ciel lourd et frais
ce qui mène la danse
remets cette année sa parure
était-ce mes souvenirs ou ces parfums
enlacées nos âmes n'en gardent que le meilleur

8 avril 2009

Sous le pont coule la Saône

je t'ai
imaginé, appelé, dessiné
rêvé
touché, goûté,frôlé
désiré
pleuré, murmuré, chuchoté,
griffé
caressé
esquissé,dérobé
attiré contre moi
ta peau sous mes doigts
happée, bue, mordue
maintenant je sais
ce que je savais déjà
tu es
en moi
tes yeux, tes lèvres, ta peau, ton corps qui ploie
ton sourire, ta voix,
tes doigts
en moi
entre les lignes, entre les parenthèses
entre les soupirs, entre les mots
ta bouche contre la mienne
est la seule chose qui vaille la peine
tout le reste n'est que jeux
en attendant de fermer les yeux
pour la dernière fois


7 avril 2009

un nouveau jour, une nouvelle année

Bienvenue dans un monde parfait
ou presque?

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deux plumes sinon rien
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